Description
Important groupe sculpté en tilleul, évidé dans le dos, présentant une très riche polychromie. Sainte Anne vêtue richement est assise et tient sur son genoux gauche sa fille la Vierge Marie portant une tunique simple et sur son genoux droit son petit-fils l’Enfant Jésus nu avec une poire dans la main gauche.
Probablement figure centrale d’un retable du sud de l’Allemagne.
Le culte de Sainte Anne ne se développe que tardivement en Occident, favorisé à partir de 1406 par les visions mystiques que vit Sainte Colette Boylet. Au commencement du siècle suivant Sainte Anne est déjà une figure extrêmement répandue et dédicaces et effigies ponctuent avec ferveur le paysage européen, en l’occurrence la Souabe, l’un des dix cercles d’Empire qui divisaient l’Allemagne actuelle. Dans les églises locales et les espaces de dévotion privée où elle apparaît, la mère de la Vierge agit comme sainte tutélaire auprès des dévots souhaitant obtenir indulgences ou protections contre les épidémies. Mais au delà de son rôle populaire Sainte Anne incarne aussi la figure maternelle sanctifiée qui, tardivement, se voit accordée par Dieu une grossesse inespérée alors que son époux Joachim est en retraite hors de la ville. Ainsi par la présentation simultanée des trois personnages l’accent n’est pas seulement mis sur la dimension familiale propre à émouvoir le fidèle mais aussi sur le mystère qui précède l’Incarnation, le principe de l’Immaculée Conception pas encore ériger en dogme.
Pourtant Sainte Anne est absente des livres canoniques qui composent la Bible, sa légende se développe dans les évangiles apocryphes tels que le Protévangile de Jacques, l’Evangile de la Nativité de la Vierge, l’Evangile du Pseudo-Mathieu ou encore dans la Légende Dorée rédigée par Jacques de Voragine. Les imagiers en tirent une iconographie dont deux thèmes prévalent. Celui de l’Education de la Vierge par Sainte Anne, fantaisie iconographique puisque la Vierge est dès son plus jeune âge élevée au temple, et le thème moins anecdotique que symbolique de la Sainte Anne Trinitaire, Annaseldbritt en allemand.
Monumentale par le rapport d’échelle entre elle et les deux autres personnages, Sainte Anne porte sous un manteau bleu, rayé or à la pointe du pinceau, une robe rouge ceinturée dont le décolleté est souligné par un galon d’or. Elle est coiffé d’un voile blanc aux ornements taillés or surhaussé par un volumineux bourrelé et qui opère mentonnière comme il était d’usage pour les femmes mariées ou d’âge mûr. Sur ses épaules est posée sa large cape or qui revient sur ses genoux non sans rappeler les trônes couverts d’étoffes. La Vierge Marie y est assise, elle porte une tunique rouge très simple dont la doublure bleue apporte toutefois un certain raffinement. Ses cheveux sont détachés, expression de sa jeunesse virginale. Sur le genoux droit le Christ enfant est assis en tailleur. Nu pour inviter le dévot à l’humilité et exprimer la vérité de l’Incarnation, ce mode de représentation qui expose ostensiblement sa nature humaine était particulièrement plébiscité par les couvents féminins où les statues indépendantes de l’Enfant Jésus nu étaient traitées comme de véritables enfants au désarroi Johannes Geiler le prédicateur de la cathédrale de Strasbourg.
Façonnée dans une bille de tilleul la sculpture est évidée par l’arrière, privée de son coeur pour limiter l’apparation de fissures pendant le séchage du bois ainsi que diminuer son poids. Particulièrement populaire dans les ateliers souabes en raison de son aspect homogène et de sa nature tendre et légère qui permet une sculpture très fine et un beau poli, le tilleul a permis sur cette Sainte Anne Trinitaire un exceptionnel travail réaliste des chairs. Le torse souple de Jésus, les plis du cou de la Vierge, le modelé des mains de Sainte Anne et surtout son visage sont d’une subtilité précieuse. Le menton relativement lourd, la bouche large et les yeux mi-clos aux lourdes paupières sont d’ailleurs caractéristiques de la région de Nördlingen dans le nord de la Souabe. La carnation qui est la dernière étape dans l’application de la polychromie renforce l’illusion de vie. La lèvre inférieure qui est davantage frappée par la lumière a reçu un rouge moins intense que la lèvre supérieure. La teinte rosée des joues est elle appliquée comme avec un tampon pour un effet velouté légèrement granuleux.
La poire que tient le Christ dans sa main gauche fait écho au fruit défendu dont la consommation par les premiers parents donna lieu au péché originel pour lequel le sacrifice de l’enfant operera le rachat. Très courant dans les Madonnes à l’Enfant du XVe siècle la juxtaposition de ces deux thèmes participe de ce discours du plan divin pour le Salut. On rapellera que si c’est une poire et non une pomme que tient Jésus c’est en raison d’un flou étymologique de la Genèse. En effet poma désigne jusqu’au IV-Ve siècle toutes sortes de fruits à pépins ; pommes, figues ou poire. Par la suite on a choisit de l’identifier comme étant une pomme malum en raison de son homonymie négative.
En raison de sa taille importante et de son arrière non travaillé l’on peut supposer que le groupe prenait place dans la caisse d’un somptueux retable. Posée sur l’autel il s’agissait de l’œuvre d’art vers laquelle tous les regards des fidèles convergeaient, une fenêtre virtuelle sur l’espace divin.
Le remarquable travail réaliste des vêtements et de la carnation, favorisé par la polychromie parfaitement préservée, provoque un lien émotif fort entre la statue et le collectionneur. Manifestant douceur paisible, grâce réservée et drapés aux rythmes décoratifs ce groupe de l’Annaseldbritt est un bel exemple des capacités des sculpteurs souabes.