Description
Gardien de la maison de Dieu, symbole de la force et de la justice, les lions stylophores furent élaborés en Italie du Nord au début du XIIème siècle. Ce motif propre à l’architecture religieuse connut une extraordinaire diffusion aussi bien dans l’espace que dans le temps.
Le terme de stylophore tiré du grec et signifiant porte-pilier vient de l’étrange union de l’animal et de la colonne sur laquelle retombent les voûtes des porches.
On sait que les peuples du Moyen Orient, Sumériens, Hittites, Assyriens et aussi Egyptiens et Grecs leurs avaient confié la garde de leurs sanctuaires.
Si le lion a ensuite envahi les églises, ornant non seulement les façades mais soutenant à l’intérieur du monument, la cuve baptismale, la table d’autel, le siège épiscopal ou l’ambon, c’est qu’il fut considéré comme un symbole de force, mais aussi de justice. Des textes anciens nous apprennent que l’évêque venait rendre la justice » inter leones » c’est à dire, siégeant entre les lions du porche.
On connaît l’importance du portail dans l’art roman. Les défenseurs du portail sont spécifiques à l’art roman soit sous l’aspect de lions lombards porteurs de colonnes soit sous de multiples aspects sur le tympan.
C’est l’idée de défense qui paraît ici dominer, défense pris dans un sens de protection plutôt que comme interdiction.
Dans l’art roman les lions “défenseurs” peuvent se justifier par la provenance très mélangée et parfois peu recommandable des pèlerins auxquels se mêlent des brigands.
Si les atlantes porteurs de l’Eglise symbolisent la Sagesse et le Savoir, les lions en sont l’élément défenseur et protecteur. Héritiers d’une longue tradition mésopotamienne et égyptienne, ces deux symboles n’ont plus la même signification, il invitent à entrer dans l’église avec respect.
DESCRIPTION
La lionne stylophore en marbre rouge dit “marbre de Verone” ici représentée, est assise sur ses pattes arrières, et allaite deux lionceaux.
Sa crinière se déploie, bien ordonnée, tout autour de la tête, à la manière des rayons solaires. La gueule est entrouverte laissant apparaître deux crocs.
Les deux petits sont représentés la tête dissimulée sous la mère, visible de côté. L’un est assis sur sa queue qui revient sur son dos, sur l’autre la queue s’étale au niveau de la nuque.
La queue de la mère maintenue sous la patte arrière droite, décrit une belle arabesque à l’arrière.
La lionne porte sur son dos le soubassement de colonne, sculpté dans la même pièce de marbre, percée en son centre de trois cavités, assurant ainsi à la colonne une bonne stabilité.
ETUDE COMPARATIVE
Premièrement
Cette lionne peut être rapprochée d’une lionne stylophore allaitant ses petits, très semblable, sculptée dans le même matériau et de taille très proche (H. 35 ¾ “), supportant aujourd’hui un bénitier dans la Cathédrale baroque San Pietro de Bologne.
Elle est considérée avec deux autres lions couchés de la même cathédrale, comme provenant du Portail latéral ou portail sud, datant de 1220, de la première cathédrale romane et attribué à un architecte-sculpteur appelé Maître Ventura. (A. Manaresi, La “Porta dei Leoni” nell’antica Cattedrale di Bologna, Bologne, 1911, pp. 9-10, fig; 3)
Ce portail détruit en 1599 pour laisser place à la Cathédrale actuelle, est décrit par deux contemporains, Fra Leandro Alberti et Giorgio Vasari, mais ces descriptions n’établissent pas une place exacte à toutes les sculptures d’origine de ce portail.
Deuxièmement
Une autre lionne assise, allaitant ses petits, en marbre de Verone, de taille identique (H.32 ½ “ ou 82 cm) à la lionne présentée ici, est conservée aujourd’hui au Herbert F. Johnson Museum of Art de l’Université Cornell à Ithaca (U.S.A).
(W.D. Wixom in Medieval Art in Upstate New York, Syracuse, 1974, n°. 23, pp.39-42, repr.) Voir notre traduction de l’article.
Cette lionne provient elle aussi certainement de Bologne.
Elle figure sur une photographie du jardin Ferguson, incorporée en même temps qu’un autre lion, dans une fontaine de ce jardin, dont parle le même article, à Huntington (U.S.A). On ne sait quel a été le sort de l’autre lion.
La lionne en marbre que nous présentons ici, a aussi appartenu à un riche collectionneur et mécène américain, Edward Tuck.
Enfin, on trouve des lions similaires, debout au Mausolée de Rolandino de Romanzi, reconstitué aujourd’hui au Certosa de Bologne.
Ces exemplaires très proches les uns des autres, sont probablement issus d’un même atelier bolonais, utilisant le même matériau et les mêmes caractères stylistiques.
EDWARD TUCK
Collectionneur et mécène américain, né à Exeter, New Hampshire en 1842, mort à Monte Carlo en 1938.
En 1890, avec sa femme Julia STELL (morte en 1928), ils se fixent en France et, la font bénéficier de diverses manifestations de générosité.
Bienfaiteurs de Rueil, ils entretiennent un hôpital militaire pendant la première guerre mondiale et plusieurs fondations charitables, ce qui leur valût en 1916, l’octroi du « Prix de vertu » de l’Académie Française.
En 1926, les époux TUCK font don à l’état de leur domaine de Boispréau, afin qu’il soit réuni au parc de Malmaison.
En 1930, ils donnent leurs collections de tapisseries du XVIIIe siècle, de tableaux (Cranach, Cima da Conegliano, Greuze), de porcelaines, à la ville de Paris. Ces collections sont conservées au Petit Palais.
TRADUCTION – article Herbert F. Johnson Museum Cornell University
LIONNE
ITALIE, EMILIE, (BOLOGNE), fin du XIIe siècle
Marbre rose exposé à l’air H :321/2” W :151/2 “ D : 26 “
Herbert F. Johnson Museum of Art, Cornell University, N°73.11
Cette lionne est assise sur ses pattes postérieures. Entre ses pattes antérieures verticales se tiennent deux lionceaux tétant. La mère a une crinière bien fournie, gravée de boucles curvilignes qui s’étalent à l’arrière.
Les larges yeux ovales ont un regard fixe, ascendant. Le haut du nez est rendu en une série de sillons horizontaux ;
De part et d’autre du museau, trois moustaches fines travaillées et stylisées en bas relief s’étalent symétriquement.
De profil, le torse, présente cinq ou six sillons qui encadrent les côtés.
Une queue courbe et montante avec une touffe fournie à l’extrémité est gravée en bas-relief sur le dos. Une base de colonne octogonale avec une moulure courbe est sculptée d’une seule pièce avec la sculpture, bien qu’elle semble à première vue avoir été incorporé dans la crinière et le dos.
Les détériorations les plus importantes sont celles de la mâchoire et de la patte antérieure droite de la lionne et certaines parties des deux lionceaux et de la base en dessous. La pierre rose tachetée est blanchie par l’exposition à l’air libre.
Les parties manquantes n’avaient pas encore disparu quand la lionne faisait partie d’une fontaine dans le jardin de Madame Juliana Armour Ferguson à Huntington, Long Island. Certaines pièces similaires, faisant également partie de la résidence des Ferguson, ont survécu.
Ce sont deux lions stylophores monumentaux en marbre rose et trois fragments de chapiteaux en marbre blanc qui purent être des parties de support de chaire. Ces éléments appartiennent maintenant au Cleveland Museum of Art. Des éléments architecturaux supplémentaires, colonnes et simples chapiteaux au même passé récent sont dans une collection privée du Kansas.
L’étude comparative suggère que toutes les pièces de sculpture viennent du même atelier Emilien. Des recherches récentes pour affiner l’attribution suggèrent que tous les éléments furent sculptés à Bologne à la fin du XIIème siècle. Des comparaisons intéressantes peuvent être faites avec des détails stylistiques similaires trouvés sur des chapiteaux à figures sur la loggia supérieure de l’église San Stephano. Ces chapiteaux ont été attribués à un certain Maître Pietro di Alberigo, actif de 1164 au début du XIIIème siècle.
On trouvera des similarités encore plus frappantes sur deux lions allongés de portail et une unique lionne assise allaitant dans la cathédrale San Pietro de Bologne.
On pense que ces trois lions proviennent du portail latéral détruit de la cathédrale romane qui existait avant. Le portail s’appelait « Portail des Lions ». Deux descriptions du XVIème siècle de cette porte d’entrée sont d’un vague désespérant.
Elles sont de Leandro Alberti et Giorgio Vasari qui dit que le travail est d’un certain Ventura a Marchione et donne la description suivante :
« A peu près à la même époque Marchionne fit aussi la porte de côté de San Pietro à Bologne, qui fut vraiment pour cette époque un travail du plus haut degré de maîtrise, du fait des nombreuses sculptures que l’on peut découvrir à l’intérieur, telles que des lions sur le pourtour qui soutient les colonnes, des stylobates (hommes porte colonne) et d’autres animaux stylophores;
et dans une arcature supérieure, il sculpta les douze mois en haut-relief avec des fantaisies variées, et pour chaque mois, son signe zodiacal ; travail qui dut être considéré comme merveilleux à l’époque.
La lionne allaitant préservée dans la cathédrale baroque, toujours existante, est une sœur très proche de la lionne de « Cornell ». Malgré l’indisponibilité des mesures nécessaires, il est tentant d’assigner la lionne de « Cornell » à ce fameux portail.
Il existe d’autres sculptures qui doivent être considérées à l’intérieur de ce contexte général. Des recherches actuelles seront éventuellement publiées et incluront toutes les pièces connues de ce qui dut être un atelier prédominant actif à la fin du XIIème siècle et les premières années du XIIIème siècle.
Ancienne collection Julianna Armour Ferguson, Huntington, Long Island.
William D Wixom, Cleveland Museum of Art.