Description
Dès 1430, la sculpture connait un renouvellement stylistique profond et qui se poursuivra jusqu’en 1530, il s’agit du gothique dit tardif. Dans les pays germaniques fleurit une production de sculptures originales, dans une veine expressive et sensible.
Ce renouveau puise ses sources dans l’art de Nicolas de Leyde qui fût actif à Strasbourg dans les années 1460. Son style rompt avec l’art raffiné et délicat du gothique international en vigueur à travers toute l’Europe autour de 1400. Les figures se font alors plus authentiques, plus réalistes. Les corps gagnent en densité. Les vêtements s’animent de plis cassés, profonds, les étoffes sont lourdes et ont une grande valeur décorative. En outre, la polychromie se veut illusionniste. La peinture permet de restituer la texture des matières, la richesse des textiles et la carnation naturelle des personnages.
La diffusion des images grâce à la gravure ainsi que la grande mobilité des artistes permit le succès de ce style qui conquit les régions du Rhin supérieur, de Souabe, du Tyrol et de Franconie, contribuant à former dans ces régions une identité stylistique commune. L’essor économique des florissantes cités allemandes était favorable à l’épanouissement d’une production originale. Attirés par cette prospérité, de nombreux ateliers s’installent afin de répondre aux commandes des communautés religieuses, de l’Eglise et des laïcs dont une clientèle de riches bourgeois.
Cette précieuse Vierge à l’Enfant est représentée debout sur un croissant de lune, la tête ceinte d’une couronne de hauts fleurons. Ses longs cheveux ondulés se répandent sur ses épaules, encadrant son beau visage ovale. Sous de fins sourcils dessinés d’un trait de pinceau, ses yeux en amande légèrement tombants regardent l’Enfant avec une infinie douceur. Elle est vêtue d’une longue robe rouge à l’encolure arrondie, ceinturée sous la poitrine. Le lourd tissu de sa robe s’étale en plis cassés à ses pieds. Sur ses épaules, elle porte un manteau doré. Le drapé est creusé de plis profonds. Elle tend sa main droite tandis qu’elle tient de la gauche l’Enfant Jésus.
Le Christ, à la chevelure aux mèches bien dessinées, est nu. L’air poupin, les joues rehaussées de rouge, il présente dans sa main gauche une pomme et de l’autre esquisse un signe de bénédiction en direction des fidèles.
Les Vierges à l’Enfant sur un croissant de lune ont connu un grand succès dans la seconde moitié du XVe siècle, notamment comme sujet central des retables en Allemagne du sud et Autriche.
Le croissant de lune sur lequel Marie s’élève évoque la Femme de l’Apocalypse. Souvent assimilée à la Vierge.
Cet épisode est tiré du Livre de l’Apocalypse (12:1-6) :
Un signe grandiose apparut au ciel : une Femme ! le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête ; 2 elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail de l’enfantement. 3 Puis un second signe apparut au ciel : un énorme Dragon rouge feu, à sept têtes et dix cornes, chaque tête surmontée d’un diadème. 4 Sa queue balaie le tiers des étoiles du ciel et les précipite sur la terre. En arrêt devant la Femme en travail, le Dragon s’apprête à dévorer son enfant aussitôt né. 5 Or la Femme mit au monde un enfant mâle, celui qui doit mener toutes les nations avec un sceptre de fer ; et son enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son trône, 6 tandis que la Femme s’enfuyait au désert, où Dieu lui a ménagé un refuge pour qu’elle y soit nourrie mille deux cent soixante jours.
Certains théologiens voient dans cette femme une référence à la Vierge Marie et dans l’enfant, Jésus.
Cette oeuvre remarquable est un très bel exemple de sculpture des ateliers souabes des dernières décennies du XVe siècle. Elle en présente tous les éléments stylistiques caractéristiques : une silhouette hautement ceinturée, un drapé abondant aux plis anguleux mais encore, une grande présence physique accentuée par la polychromie qui restitue les détails anatomiques.
Ce groupe est réalisé dans une seule bille de bois. Les plis profonds du drapé mettent en valeur le mouvement de la Vierge qui tient l’enfant.
Bibliographie :
Sophie Guillot de Suduiraut, Dévotion et séduction, Sculptures souabes des musée de France, vers 1460-1530, Paris, musée du Louvre-Éditions Somogy, 2015
Chapitre 12 de l’Apocalypse, Bible de Jérusalem, Les Éditions du Cerf, 1997