Description
Peu avant la seconde moitié du XVIe siècle, la conception et l’ornementation du mobilier français évoluent. Les chantiers et commandes émanant du pouvoir royal et des courtisans donnent aux artistes un nouvel élan créateur. S’inspirant de l’antiquité, ces derniers développent un nouveau vocabulaire ornemental qu’ils diffusent ensuite à travers toute l’Europe sous forme de recueils de gravures et d’estampes. Le développement de l’imprimerie contribue grandement à cette diffusion. En outre, les artistes italiens sur ces chantiers de grande ampleur – au premier rang desquels celui du Château de Fontainebleau – transmettent à la France entière le goût de la Renaissance. Ainsi, c’est dans les stucs de Rosso et de Primatice, réalisés vers 1540-1550, qu’il faut chercher l’origine des mascarons, des chimères, des harpies, des figures en gaine, des guirlandes de fruits et de fleurs.
L’art du meuble se soumet également à cette évolution du goût. Les artistes qui oeuvrent à leur conception et leur ornementation, huchiers et sculpteurs, trouvent leur inspiration dans les livres illustrés et les recueils d’ornements et d’emblèmes. Loin de les reproduire de manière servile, les artistes et les artisans s’en nourrissent et engendrent d’inépuisables variations.
Ce cabinet à deux corps présente un décor riche et original rendant admirablement compte de la production de la fin du XVIe siècle, imprégnée d’influences italiennes, bellifontaines et antiques. La présence des six termes traduit également l’importance des recueils d’ornements notamment ceux réalisés par Jacques Androuet du Cerceau.
Ce meuble aux élégantes proportions ouvre à quatre vantaux et deux tiroirs en ceinture.
Le corps inférieur est divisé horizontalement par trois termes en gaine. Les deux termes masculins qui décorent les montants latéraux sont coiffés de fruits. La partie inférieure de leur corps est couverte de feuilles d’acanthes, ceinturées à la taille. Celle qui orne le faux-dormant représente quant à elle un buste de femme.
Les deux vantaux sont sculptés d’une composition rigoureuse, tout en symétrie. Posés sur une draperie, deux personnages au corps feuillue, semblables à des harpies, déploient leur ailes. Leur visage est celui d’un vieil homme barbu, la tête ceinte d’une couronne. Ils sont tous deux accostés à un élément triangulaire au dessus duquel est sculpté avec beaucoup de minutie, un bucrane. Deux animaux marins au corps végétal s’affrontent sous cette pyramide.
Les deux tiroirs en ceinture sont séparés des corps inférieur et supérieur par deux moulures ornées de feuilles d’acanthes et de fleurs au dessin varié. Ils sont sculptés en leur centre d’un très beau masque barbu et aux oreilles pointues, tel un faune, autour duquel se déploient de fines tiges d’olivier.
Le corps supérieur est encadré par deux termes féminins posés sur une gaine couverte d’une draperie sur laquelle un mascaron tient dans sa bouche une chute de fruits.
Au centre, on découvre un terme masculin. Sur ce dernier, un exceptionel mascaron à la physionomie grimaçante cache ingénieusement l’entrée d’une serrure.
Les panneaux des vantaux du corps supérieur sont ornés de masques grimaçants au relief saillant. De part et d’autre dansent deux putti réalisés avec grâce et dont les gestes marquent le mouvement et le dynamisme avec beaucoup de réalisme. Au dessus du mascaron des tiges de fleurs s’échappent d’un bucrane. Deux escargots glissent sur les feuilles. Une tête d’angelot occupe le haut du panneau, répondant à celle qui en bas se dévoile au milieu des draperies.
Les panneaux sont embrevés dans des cadres sculptés de fleurs très délicates, finement sculptées.
Les termes du corps supérieur supportent la corniche peu débordante.
Sur les côtés, les panneaux sont sculptés de larges éléments végétaux prenant parfois des allures zoomorphes. Les feuilles sont grasses, le ciseau est franc et incisif.
On peut admirer la diversité des formes employées. L’artiste déploie un language riche, variant les motifs décoratifs : palmettes, oves, feuilles de lauriers, rosaces, arabesques… On remarque également l’extrême expressivité des visages rendue parfaitement grâce à une sculpture finement travaillée.
Ainsi, l’artiste qui réalisa ce meuble s’inspira très certainement de gravures et de dessins, réalisés par Jacques Androuet du Cerceau. Les termes et cariatides coiffés de fruits utilisés sur ce meuble pourraient avoir été puisés dans les recueils de gravures réalisées par du Cerceau. De cet artiste, le sculpteur reprend également la parfaite symétrie du décor, le dynamisme des personnages dont l’impression de mouvement est parfaitement rendue, les draperies et rameaux d’olivier.
Comparaisons entre les Recueils d’ornements réalisés par Jacques Androuet du Cerceau et les motifs utilisés pour décorer ce cabinet.
Une ressemblance évidente peut être établie entre ces deux éléments représentant un animal marin au corps feuillu, cet escargot ou bien encore ces angelots à l’attitude dansante.
Jacques Andouet du Cerceau,Seconde suite de Petites Grotesques, 1526, INHA Bibliothèque Numérique, NUM 12 RES 23
On y retrouve également un escargot.
Jacques Andouet du Cerceau,Seconde suite de Petites Grotesques, 1526, INHA Bibliothèque Numérique, NUM 12 RES 23
De même que ces angelots, nus à l’attitude dansante. Comme sur les gravures de du Cerceau, le sculpteur qui a réalisé la décoration du meuble à su rendre le mouvement, grâce à la posture dynamique des personnages, l’un représenté de face, l’autre de dos.
Jacques Andouet du Cerceau, Seconde suite de Petites Grotesques, 1526, INHA Bibliothèque Numérique, NUM 12 RES 23
Enfin, il est tout à fait probable que l’artiste se soit inspiré de ces modèles de cariatides aux cheveux et aux draperies nouées pour réaliser celles qui ornent le meuble.
Jacques Andouet du Cerceau,Termes et caryatides, INHA Bibliothèque Numérique, NUM 4 RES 85
Les éléments ornant les vantaux témoignent quant à eux de la connaissance du huchier à l’origine de ces sculptures, du répertoire ultramontain et des œuvres bellifontaines.
Le travail de sculpture, dispensé à profusion, avec grande rigueur et une incroyable virtuosité, évoque une origine bourguignonne. Ce meuble a certainement été réalisé par le ciseau d’un grand maître de la région au cours de la Seconde Renaissance française.
Bibliographie
Nous remercions Monsieur Jean-Pierre Jacquemart qui nous a apporté son aide précieuse dans l’analyse de ce meuble.
BOCCADOR Jacqueline, Le mobilier français du Moyen-Âge à la Renaissance, Édition d’art Morelle Mayot, 1996
BOS Agnès (dir.), Mobilier du Moyen âge et de la Renaissance, La collection du musée du Louvre, Louvre éditions, 2019
JACQUEMART Jean-Pierre, Hugues Sambin, architecteur , éditions de La Passerelle, Dôle, 2019
JACQUEMART Jean-Pierre, Armoires et cabinets à la fin du la Renaissance en Bourgogne et Franche-Comté
THIRION Jacques, Le Mobilier du Moyen Age et de la Renaissance en France, Edition Faton, 1998
Recueils de gravures et d’estampes par Jacques Androuet du Cerceau, sur INHA Bibliothèqe numérique :
Jacques Andouet du Cerceau, Seconde suite de Petites Grotesques, 1526, INHA Bibliothèque Numérique, NUM 12 RES 23
Jacques Andouet du Cerceau, Termes et caryatides, INHA Bibliothèque Numérique, NUM 4 RES 85