Description
Cet étonnant bois sculpté dans un parfait état de conservation, a été exécuté au XVIe siècle, probablement à Würtzburg dans la vallée du Main en Basse-Franconie où une école originale de sculpture, florissait dès le milieu du XVe et au XVIe siècle.
La partie gauche de notre bas-relief relate l’histoire du Loup-Garou.
Au milieu d’une cour de ferme, un homme hirsute et dépenaillé dévore un enfant. Seule sa position à quatre pattes, semblable à celle des animaux, décrit sa transformation intérieure en animal vorace qui capture et tue tout autour de lui.
Plusieurs victimes gisent à ses côtés sur le sol désignant des attaques récurrentes.
A l’arrière plan, la mère lève les bras au ciel de désespoir tandis que ses deux autres enfants se réfugient auprès d’elle. Un homme regarde la scène protégé dans une étable. Au loin, se dresse une ville fortifiée.
La partie droite du panneau représente la légende de Saint Georges.
En bas, la jeune Trébizonde, fille d’un souverain, richement vêtue, prie dans une grotte. Elle est captive d’un dragon dont on ne voit que la tête. La princesse est la dernière victime exigée par ce dernier. L’agneau figurant à côté de Trébizonde la désigne en effet comme objet de sacrifice.
Plus haut, sur un chemin serpentant, Saint Georges, qui a libéré Trébizonde du dragon, ramène la princesse vers une cité fortifiée sur un cheval blanc. Du haut des tours crénelées, ses parents l’attendent.
L’arbalétrier à droite évoque le combat de Saint Georges avec le dragon.
Le bas-relief est inspiré de deux gravures sur bois de Lucas Cranach L’Ancien (1472–1553).
La première est la célèbre Der Werwolf ou le Loup-garou (162 x 126 mm), réalisée par l’artiste lui-même vers 1512. Un exemplaire en est conservé au Cabinet des estampes de Strasbourg. Cette gravure a inspiré la partie gauche de notre bas-relief.
Unique dans l’œuvre de Lucas Cranach l’Ancien et fort rare dans l’iconographie de l’époque cette curieuse image s’inspire peut être d’un épisode des Métamorphoses d’Ovide, celui du roi Lycaon transformé en loup par Jupiter (Cat n° IV 1) et de légendes médiévales macabres évoquées par Geyler de Kaisersberg dans des sermons de Carême, où le loup-garou est classé parmi les « Hommes sauvages » qui symbolisent au Moyen Age, l’homme primitif, guidé par les instincts comme les animaux, donc potentiellement dangereux et souvent assimilé au diable.
Cette gravure avait un pendant, une représentation de saint Georges tuant le dragon. Ce dernier a inspiré la partie droite de notre bas-relief et éclaire la première représentation d’une signification nouvelle :
Ces deux parties bien distinctes du panneau sont structurées autour d’un arbre sans feuillage et marque davantage cette opposition entre l’homme-animal, naturellement soumis à ses instincts mauvais, d’une bestialité proche de celle de l’animal et l’homme civilisé incarné par le miles christianus, le chevalier chrétien que représente saint Georges.
En effet c’est qu’il fut adopté comme saint patron par les Croisés en terre Sainte après la prise d’Antioche en 1097. Il passa dès lors pour le modèle de toutes les vertus chevaleresques.
Une lecture sociale de ces gravures associées et du bas-relief présenté ici doit aussi être évoquée :
Cranach l’Ancien étant peintre de Cour de l’Electeur de Saxe Frédéric le Sage, et saint Georges étant le saint patron de la noblesse, le vertueux chevalier est montré comme un modèle pour les paysans ; le château haut perché à l’arrière de la gravure visualisant d’un point de vue topographique et symbolique la fonction dirigeante de l’Electeur.
Saint Georges étant aussi le patron des archers et des arbalétriers, des armuriers et des plumassiers (fabriquant de plumets qui confectionnaient les grands panaches de casques de batailles ou de tournois), on trouve sur la partie droite du bas relief des représentations de ces artisans au dessus de la princesse.
A partir du XVIe siècle le culte de saint Georges qui personnifiait l’idéal chevaleresque au Moyen Age perd sa raison d’être quand l’artillerie remplace les combats singuliers à la lance ou à l’épée.
En 1972, pour la commémoration du 500e anniversaire de la naissance de Lucas Cranach l’Ancien, cette gravure Der Werwolf, réminiscence de la gravure sur cuivre d’Albrecht Dürer Vision des Eustachius conservée au Cabinet des Estampes de Berlin, a participé à l’exposition itinérante des œuvres graphiques les plus importantes et les plus célèbres du peintre graveur :
– Musée de Bielefeld (23.01 au 26.03.72)
– Kunstmuseum Düsseldorf (08.04 au 17.05.72)
– Wallraf-Richartz-Museum Köln (26.05 au 16.07.72)
– Kunstsammlungen der Veste Coburg (16.07 au 30.09.72)
De plus, notre bas-relief a été présenté lors de l’exposition El Salvaje Europeo à la Fondation Bancaja de Valence et au Centre Culturel Contemporain de Barcelone en 2004. Il est reproduit dans les catalogues, p.18-19 de « El Salvaje Europeo » (Valence, en espagnol) et p.14 de « El Salvatge Europeu » (Barcelone, en catalan).
Il est reproduit dans l’article « Beaux objets sur le marché », L’Œil , décembre 1965- N°132, pages 48 et 49
Bibliographie
Hommeanimal. Histoires d’un face à face, cat. expo, Strasbourg, musée archéologique, galerie Heitz, musée de l’Oeuvre Notre-Dame, Musée d’art moderne et contemporain, 7 avril 2004-4 juillet 2004, Musées de Strasbourg, Adam Biro, 2004 (Franck Muller, p. 114, no III.28, ill.)
Représenté dans Cranach in Coburg, Graphik von Lucas Cranach d. Ä., Lucas Cranach d. J. und der Werkstatt im Kupferstichkabinett der Kunstsammlungen der Veste Coburg, Stefanie KNÖLL, Meike LEYDE, Michael OVERDICK (Hg.), Editions Schnell Steiner, août 2020, page 313